Bonjour le forum,
C'est un fait, nous n'aimons pas les essais en champ.
Mais d'abord, pourquoi en pratique-t-on et peut-on s'en passer ? Il me semble que non, et voici pourquoi.
Pour aborder la question de l'intérêt d'une manipulation génétique, on essaie d'abord de ne pas toucher à tous les paramètres en même temps pour comprendre ce que l'on fait : c'est le principe de base de l'expérimentation. On travaille donc principalement
in vitro, puis on produit des plantes et l'on procède à des essais en chambres climatiques (photopériode, température et humidité contrôlées) puis sous serre quand l'espèce d'intérêt agronomique le permet. Ces étapes ne sont pas médiatisées (d'ailleurs on se demande bien pourquoi elles le seraient), si bien qu'on oublie parfois qu'elles existent et précèdent ce dont on parle beaucoup plus : les essais en champ. Pourquoi pratiquer des essais en champ après les essais en laboratoire ? La réponse est simple : à cause des biais expérimentaux engendrés par les techniques hors champ. Ne nous y trompons pas, ces biais sont nombreux :
- L'efficacité d'un transgène en conditions artificielles, c'est-à-dire principalement sans agents pathogènes et sans stress abiotiques (hydrique, salin, etc.), peut être différente de l'efficacité en champ, où la physiologie des plantes est affectée par une combinaison de stress biotiques (bactéries, insectes, champignons...) et abiotiques difficile voire impossible à reproduire en laboratoire. En d'autres termes, le bénéfice observé en conditions contrôlées n'est peut-être pas aussi évident en champ; à l'extrême, il peut même devenir désavantageux de posséder ledit transgène dans les conditions de culture usuelles (cauchemar des investisseurs).
- L'effet du transgène sur sa population cible d'agents pathogènes peut être altéré par les conditions du champ. Entre autres choses, la dynamique des populations sur le terrain peut être bien plus complexe qu'en laboratoire (échanges entre populations, migration, existence d'autres pressions de sélection). De plus, le développement des résistances et l'apparition de résistances croisées est difficile à évaluer hors champ. Plus intéressant, seules les expériences en champ permettent de confirmer la toxicité éventuelle sur les pollinisateurs de toutes sortes, la microfaune du sol, etc., qui est au mieux soupçonnée par les travaux en laboratoire.
Il y a encore d'autres raisons mais, sans les évoquer toutes, on peut les résumer en disant que la dichotomie entre conditions artificielles et essais en champ est du même ordre que la dichotomie modélisation/réalité. Les conditions artificielles sont simplifiées à dessein : elles modélisent une situation avec un maillage plus ou moins lâche et permettent de comprendre le fonctionnement d'un processus, modulo les biais introduits par la grossièreté du maillage utilisé. L'essai en champ, quant à lui, n'est plus une modélisation mais une confrontation avec le réel : il vient donc à la fois valider et compléter les données obtenues en laboratoire. Sans lui, ce qui sort des laboratoires présente certes un intérêt présumé à probabilité élevée, mais ce bénéfice escompté n'est pas encore confirmé et les effets indésirables sont peu ou pas connus.
C'est un peu pareil dans l'industrie pharmaceutique. Quand une molécule passe avec succès les différentes phases cliniques, qui sont heureusement très contraignantes, le ratio bénéfice/risque d'une nouvelle molécule est généralement bien estimé. Mais pour autant, l'autorisation de mise sur le marché, quand elle arrive, ne met pas un terme au suivi de la molécule. Bien au contraire, il faut s'assurer que l'utilisation du médicament, seul ou combiné à d'autres, n'entraîne pas d'effets inattendus (on parle de pharmacovigilance). Parfois la déconvenue est sévère, notamment parce que les phases cliniques ne sauraient prendre en compte toute la variabilité génétique des populations humaines, et certains médicaments sont retirés du marché suite à des cas graves parfois mortels (des crises cardiaques à répétition, par exemple).
Mais, dans le même temps, les essais en champ font l'objet de critiques fondées car ils présentent des risques. Comme toujours, on se trouve face à une aporie dont la solution naïve est l'arrêt immédiat et irrévocable de toute recherche. Mais on a pourtant à disposition un outil précieux qui aide à y voir clair et force à transiger : le ratio bénéfices/risques.
Cordialement,
Eddy